Repenser la ville, c’est répondre à la demande de logements causée par l’évolution démographique et la raréfaction du foncier, c’est éviter l’étalement urbain. C’est aussi prendre en compte l’évolution des modes de vie, de télétravailler et d’habiter, c’est construire avec la plus faible empreinte carbone possible et s’orienter vers une économie circulaire. La crise sanitaire liée à l’épidémie de Covid-19 a largement modifié nos habitudes de travail. Alors que faire de cet immobilier de bureaux ? Rien qu’en Ile-de-France, la surface de bureaux vacants s’élève à 4 millions de m2. L’Institut d’épargne immobilière (IEIF) prévoit qu’il y aura avec l’essor du télétravail un excédent de 3,3 millions de m2 de bureaux (soit 6,5% du parc) en Ile-de-France dans les 10 prochaines années. Une reconversion de la moitié de ces 4 millions de m2 de bureaux vacants permettrait de réaliser près de 40 000 logements. Les pouvoirs publics et le secteur du Bâtiment cherchent des solutions pour permettre cette mutation mais de nombreux paramètres sont à prendre en compte et freinent leur réalisation.
Un marché encore frileux pour la mise en œuvre
La transformation d’immeuble de bureaux en logements dépend de sa période de construction, de sa structure (façade et mode constructif, trame intérieure, circulations verticales, passage des fluides, etc.) et de la durée de vie des matériaux employés. S’il est assez aisé de transformer les immeubles haussmanniens et post-haussmanniens, la configuration de l’immobilier de bureaux depuis les années 1970 rend leur mutation complexe. Plusieurs contraintes empêchent la massification des transformations : techniques, réglementaires, environnementales et financières.
Les contraintes techniques sont liées à la configuration des bâtiments tertiaires.
- La trame (profondeur) des immeubles de bureaux est de 18 m contre 15 m pour les immeubles de logements. Cela peut conduire à la création de pièces aveugles en cas de changement de fonction.
- La hauteur sous plafond des bureaux est de 3,30 m pour tenir compte des faux planchers et des faux plafonds abritant les gaines techniques. Pour les logements, la hauteur est de 2,50 m.
- Les plans de circulations doivent aussi être repensés pour installer de nouveaux escaliers, des cages d’ascenseurs, des gaines techniques, créer des cuisines et des salles d’eau.
- Au niveau des façades, des espaces extérieurs comme des balcons ou des loggias sont à créer. Une reconversion du tertiaire à l’habitat peut réduire la surface utile d’environ 15%. Cela impacte l’équation financière, car un logement demande la réalisation de cloisons et de parties communes.A cela, s’ajoutent les contraintes réglementaires différentes en fonction de la typologie de l’immeuble : la sécurité incendie, l’acoustique ou encore l’accessibilité.Quant aux contraintes environnementales, l’immobilier tertiaire est généralement situé dans des quartiers peu propices à un environnement résidentiel comme les quartiers d’affaire qui ne possèdent pas ou peu de services de proximités, ou encore en bordure de grands axes routiers, ce qui entraine des nuisances sonores et visuelles.
Enfin, l’ensemble de ces points peut impacter le budget : la démolition et reconstruction peut parfois s’avérer moins onéreux qu’une transformation.
Un autre frein concerne la rentabilité, un immeuble de bureau étant plus lucratif qu’un immeuble de logements.
Impulsion de l’Etat et des assureurs pour atteindre les objectifs
Les mesures de la loi Elan
Consciente de la complexité de telles opérations, l’État a adopté plusieurs mesures pour accélérer cette mutation. La loi pour l’Évolution du Logement, de l’Aménagement et du Numérique (la loi Elan) votée fin 2018, propose des mesures pour faciliter cette transformation.
- Elle octroie un bonus de constructibilité de 30% pour la transformation de bureaux en logements afin de compenser les pertes de surfaces et une partie des surcoûts de construction.
- A l’exception des communes possédant un nombre insuffisant de logements sociaux, la loi autorise une dérogation des obligations de mixité sociale.
- Les autres mesures portent sur le droit de reprise pour les bailleurs souhaitant transformer un immeuble en logements (échéance triennale), sur la création d’une nouvelle catégorie d’immeuble de moyenne hauteur pour harmoniser les réglementations et renforcer la mixité des usages au sein d’un même bâtiment. Les ouvrages réalisés dans certains périmètres (Operations d’intérêt national (OIN), Grandes Opérations d’Urbanisme (GOU), opérations de Revitalisation du Territoire (ORT) et village olympique de 2024) peuvent bénéficier du permis d’innover pour déroger à des règles de construction. Cependant, l’application de cette loi est soumise à l’accord des maires, ce qui freine le développement de ces transformations. Pour les communes, les bâtiments tertiaires génèrent des recettes grâce aux taxes foncières et professionnelles, tandis que les logements engendrent des coûts avec la création d’équipements comme des crèches ou des écoles.
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D’autres initiatives en faveur de cette transformation
Une charte d’engagement a également été signée en 2018 avec 10 promoteurs et investisseurs pour transformer 500 000 m2 de bureaux en région parisienne d’ici 2022. A ce jour, seulement 85 000 m2 de bureaux ont été ou vont être transformés par les signataires de la charte.
En outre, deux dispositifs du plan France Relance peuvent être saisis par les opérateurs pour financer leurs projets : le fonds pour la reconversion des friches (300 M€) et l’aide à la relance de la construction durable (350 M€).
L’appel à manifestation d’intérêt (AMI) « pour la proposition à la vente d’immeubles de bureaux ou de locaux d’activité en vue d’une transformation en logements » a été lancé le 19 novembre 2019 par la Foncière transformation de locaux vacants en logements. Elle a pour mission d’acquérir des bureaux, locaux et terrains d’activité jugés obsolètes et difficiles à recycler, de concevoir en relation avec les collectivités des projets de transformation en logements ou en structure d’hébergement collectif. La Foncière est actuellement en négociation pour la création de 101 000 m2 de logements, dont 42 000 m2 ont déjà été contractualisés
Le 9 février 2021, la Ville de Paris a lancé un « appel à projets urbains innovants » (Apui) dans le cadre de la démarche « Réinventer Paris ». L’objectif est de transformer six lieux à usage commercial ou de bureaux en logements parmi lesquels le siège de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP), le magasin Tati Barbès dans le 18e arrondissement et deux grands garages de concessionnaires automobiles.
Les assureurs se sont également associés à cette démarche. La foncière Novaxia et quatre assureurs-vie (AG2R La Mondiale, Generali, Suravenir et Spirica) ont signé le 19 janvier 2021 un partenariat en vue de la création de « Novaxia R », le premier fonds en assurance-vie de recyclage de bureaux en logements. Ce fonds vise un objectif de performance de 5 % par an, un investissement d’1 milliard d’euros et la production de 4 000 logements sur les trois prochaines années.
Le bâtiment réversible : l’avenir dans le neuf
Face à cette situation complexe et dans une démarche de développement durable, les standards et les usages ne doivent faire plus qu’un. La notion de réversibilité des bâtiments pourrait résoudre cette équation complexe. Il s’agit d’une solution anticipée et évolutive pour pouvoir transformer facilement sa destination (logements, bureaux, équipements publics, activités) au moyen de modifications minimes.
Une telle conception réduirait par anticipation l’ampleur et le coût des adaptations futures, et permettrait de faire l’économie des destructions.
En 2020, la Convention Citoyenne pour le Climat a proposé d’intégrer un volet « réversibilité » pour évaluer le changement d’usage possible lors du dépôt de permis de construire.
En outre, l’article 52 du projet de loi Climat et Résilience stipule que « les bâtiments dont le permis de construire est déposé après le 1er janvier 2023 font l’objet, avant leur construction, d’une étude de potentiel de réversibilité et d’évolution future ».
Pour accompagner les professionnels de la construction à cette démarche, l’Agence Qualité Construction (AQC) a publié un rapport qui présente dix enseignements clés sur la réversibilité des bâtiments. Il rappelle les principales précautions à prendre en compte et les bonnes pratiques pour mettre en œuvre la réversibilité, aux différentes phases du projet (programmation, conception, réception, chantier, etc.) en tenant compte des exigences techniques (acoustique, sécurité incendie, accessibilité, etc.).
Le cabinet Canal Architecture s’est quant à lui penché depuis plusieurs années sur cette notion et ses problématiques. Il a publié un manifeste dans lequel il propose des solutions pour cette réversibilité basées sur 7 principes :
- un mode constructif en poteau-poutres ou poteau-dalle,
- une épaisseur du bâtiment de 13 m avec une hauteur d’étage de 2,70 m,
- un rez-de-chaussée actif (commerces, etc.),
- un toit habité,
- une enveloppe pensée pour que moins de 30% des composants soit à modifier en cas de transformation,
- des circulations extérieures au moyen de decks et de pontons,
- une distribution des réseaux sans reprise structurelle.Quelques bâtiments basés sur cette solution sortent de terre ou sont en cours de développement, comme les tours « Black Swans » à Strasbourg de l’architecte Anne Démians pour Icade, ou la tour « Elithis » à Bordeaux conçue par Canal Architecture. Ils sont toutefois encore peu nombreux.Si la notion de réversibilité n’est plus une utopie, de nombreux freins sont encore à lever : les destinations des permis de construire qui sont délivrés à destination unique, les règlements d’urbanisme, les obligations réglementaires ou encore la fiscalité.